Monsieur B., militaire, a été blessé en service en 1997 par entorse du genou gauche, qui a fait l’objet d’un rapport circonstancié.
En l’an 2000, l’état du genou s’aggravant, une I.R.M. était pratiquée et concluait à une « probable rupture de la portion haute du ligament croisé antérieur (…) ».
En 2006, Monsieur B. a subi à son domicile un épisode de dérobement du genou gauche, suite auquel une autre I.R.M. a fait état d’une rupture du ligament croisé antérieur siégeant au niveau de sa partie moyenne avec absence de visibilité correcte du ligament.
L’état dudit genou s’est aggravé, a généré plusieurs opérations chirurgicales, des séances de kinésithérapie et plusieurs périodes de congé de longue maladie, à l’issue desquelles Monsieur B. a été affecté à un poste sédentaire strict.
Il a formulé, en 2007, une demande de Pension Militaire d’Invalidité.
Trois ans plus tard, le Ministère de la Défense a rejeté cette demande de pension, au motif que la blessure n’était pas imputable à l’accident de 1997.
Monsieur B. a saisi le Tribunal des Pensions Militaires du GARD, qui, en 2011, a ordonné une expertise médicale, laquelle concluait clairement à l’imputabilité de la blessure au service, et retenait un taux d’invalidité de 15 %.
En 2012, le Tribunal, homologuant ce rapport, a dit que la rupture du ligament croisé de Monsieur B. était bien la conséquence de l’accident de service de 1997 et a fait droit à sa demande de pension à hauteur de 15 %.
Le Ministère a interjeté appel de cette décision, soutenant que la blessure ne serait pas imputable à l’accident de service de 1997, mais au dérobement survenu hors service en 2006.
Par arrêt du 24 octobre 2016, la Cour Régionale des Pensions de NÎMES a annulé le jugement du Tribunal des Pensions et a débouté Monsieur B. de sa demande de pension.
Saisi par Monsieur B. par l’intermédiaire du Cabinet, le Conseil d’État, par arrêt du 16 février 2018, a annulé l’arrêt de la Cour Régionale des Pensions de NÎMES et a fait droit à la demande de pension de l’intéressé, en retenant principalement :
« Il ressort du rapport d’expertise médicale rédigé le 3 octobre 2011 par le Docteur ASENCIO (…) que ce médecin indiquait sans ambiguïté qu’il était possible d’établir l’imputabilité au service de la rupture du ligament croisé antéro-externe dont avait été victime Monsieur B. (…) à l’occasion d’une activité sportive liée au service (…). En jugeant que le Docteur ASENCIO (…) ne s’était pas montré affirmatif sur la question de l’imputabilité de l’infirmité à l’accident de sport, la Cour Régionale des Pensions a dénaturé les pièces du dossier » (…).
La dénaturation est la méconnaissance flagrante du sens clair, précis et univoque d’une ou de plusieurs pièce(s) produite(s) dans le débat judiciaire.
Lorsque la dénaturation atteint la pièce de procédure que constitue le rapport d’expertise, il est de jurisprudence constante qu’elle peut entraîner l’annulation de la décision qui l’opère.
Il est plus rare que le Conseil d’État annule une décision pour dénaturation de l’ensemble des pièces du dossier, ce qui est le cas en l’espèce, et qui pourrait signer une ouverture de la jurisprudence en la matière.
Dans le cas présent, contrairement à ce qu’avait retenu la Cour Régionale des Pensions, le rapport d’expertise était très affirmatif quant à l’imputabilité de la blessure au service, puisqu’il retenait :
« L’I.R.M. du 14/06/00 met, incontestablement, en évidence une rupture du ligament croisé antéro-externe qui n’est pas une rupture récente. L’I.R.M. du 28/06/06 met en évidence des images tout à fait similaires de rupture ancienne du ligament croisé antéro-externe. Le compte rendu opératoire du docteur NICOLAY du 11/09/06 mentionne, pour sa part, la confirmation de la rupture du ligament croisé et de son aspect dégénératif à la partie proximale.
On peut donc, devant cet ensemble d’éléments, établir l’imputabilité au service de la rupture du ligament croisé antéro-externe survenu le 9 octobre 1997, au cours d’une activité sportive liée au service ».
Ainsi, compte tenu des termes de l’expertise judiciaire, la Cour Régionale des Pensions ne pouvait considérer que le Dr ASENCIO ne s’était pas montré affirmatif dans son analyse, laquelle démontrait au contraire que la blessure survenue en service était « incontestablement » seule à l’origine de la rupture du ligament croisé antéro-externe du genou gauche de Monsieur B.
Au-delà du rapport d’expertise, de nombreuses autres pièces avaient été dénaturées par la Cour : rapport circonstancié, extrait du registre, déclaration d’accident du personnel militaire, relevé des indisponibilités, IRM du 14 juin 2000, certificat du Docteur DIDELOT et certificat de visite du 25 novembre 2010.
Il résultait en effet de ces documents que :
- Lorsque que Monsieur B. s’était engagé, il ne souffrait d’aucun problème de santé, (SIGYCOP indiquant, pour les membres inférieurs « I » le chiffre « 1 », devenu « 3 » à la fin de son engagement),
- L’accident de 1997 avait eu lieu pendant le temps et sur le lieu du service,
- Cet accident a ensuite généré des dérobements à répétition, dont celui de 2006, qui lui était imputable et n’a pas causé de nouvelle rupture du ligament,
- La blessure a généré des dispenses d’activité physiques et des arrêts de travail, puis, suite au dérobement du genou de 2006, un congé de longue maladie avec perception d’une solde entière pendant 3 ans, circonstance qui impliquait, en vertu de l’article L4138-13 du Code la défense, que l’imputabilité de la blessure au service avait été reconnue. Les décisions de congé de longue maladie mentionnaient d’ailleurs que « l’affection ouvrant droit au congé précité est survenue du fait ou à l’occasion de l’exercice des fonctions (…) » !
C’est en dénaturant le sens de ces pièces militaires et médicales versées aux débats et auxquelles le Docteur ASENCIO s’était référé, ainsi que les termes clairs, précis, et dénués de toute ambiguïté du rapport d’expertise, que la Cour Régionale des Pensions avait donc retenu que la preuve de l’imputabilité au service n’était pas établie.
Le Conseil d’État a retenu cette argumentation pour annuler l’arrêt de la Cour Régionale des Pensions de NÎMES en considérant qu’elle avait « dénaturé les pièces du dossier« , avant de régler le dossier au fond.
De ce chef, il a retenu que la preuve de l’imputabilité de l’infirmité au service était rapportée, puisqu’il ressortait « des pièces du dossier, et notamment du rapport d’expertise rédigé par le Docteur ASENCIO, que Monsieur B. a été victime, le 9 octobre 1997, d’une entorse du genou gauche à l’occasion d’une séance de sport organisée dans le cadre du service. Si, en l’absence d’examen articulaire du genou, aucune rupture du ligament croisé antérieur gauche n’a alors été diagnostiquée, un examen par IRM effectuée le 30 mai 2000 (…) a révélé l’existence d’une rupture de ce ligament dont l’expert indique « qu’elle n’est pas une rupture récente ». Il ressort également du rapport d’expertise que l’examen effectué le 28 juin 2006 fait apparaître des images similaires de la rupture ancienne du ligament croisé antéro-externe. Le rapport conclut à l’existence d’une entorse grave du genou gauche avec lésion ligamentaire évoluant vers une instabilité chronique du genou ayant nécessité plusieurs interventions chirurgicales (…).
Il résulte de ces éléments que la preuve d’une relation médicale certaine, directe et déterminante entre l’infirmité de Monsieur B. (…) et l’accident de service survenu le 9 octobre 1997 doit être regardée comme apportée (…) ».
Le Conseil d’État a donc considéré que le Ministère de la Défense n’était pas fondé à demander l’annulation du jugement du Tribunal des Pensions, qui a donc repris tous ses effets, notamment en ce qu’il accordait à Monsieur B. une PMI à hauteur de 15%.
Maître Laure MATTLER
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