L’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme consacre au profit du justiciable le droit à un procès équitable, qui comprend le droit d’être jugé dans un « délai raisonnable ».
Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie au cas par cas, selon la complexité de l’affaire, le comportement du requérant comme des autorités compétentes, et l’enjeu du litige.
Lorsqu’au regard de ces critères, la durée du procès est si longue qu’elle s’apparente à un déni de Justice, en France la procédure puis la décision rendue ne sont pas irrégulières, mais l’État dont la Justice est reconnue défectueuse engage sa responsabilité et peut être condamné au paiement de dommage-intérêts pour préjudice moral et, s’il y a lieu, pour préjudice matériel.
Par arrêt 13 juillet 2016 (CE 4ème-5ème chambres réunies, 13 juillet 2016 n°389760, lien ci-dessous), le Conseil d’État s’est penché sur le droit au délai raisonnable de jugement en matière de Pension Militaire d’Invalidité.
Premièrement, il a rappelé que ce droit est applicable en matière de PMI et a précisé les critères au vu desquels il entendait se prononcer :
« le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale, compte tenu notamment, de l’exercice des voies de recours, particulière à chaque instance et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir (…) à ce (que le litige) soit tranché rapidement ».
Deuxièmement, le Conseil d’État a considéré que le temps pendant lequel le service des pensions instruit le dossier du requérant doit être pris en compte dans la durée du procès.
Il rappelle d’abord que la règle veut que « lorsque des dispositions applicables à la matière faisant l’objet d’un litige organisent une procédure préalable obligatoire à la saisine du juge, la durée globale de jugement doit s’apprécier, en principe, en incluant cette phase préalable » et que « la durée des recours administratifs non obligatoires n’est ainsi pas prise en compte » dans la durée du procès.
Par exception à cette règle, le Conseil d’État considère « que si la procédure administrative d’instruction de la demande de révision d’une pension d’invalidité pour complication nouvelle ou aggravation n’est pas formellement imposée comme un préalable obligatoire avant la saisine du juge, eu égard néanmoins à ses caractéristiques particulières, notamment à la mise en œuvre d’une expertise préalable et nécessaire à l’intervention du juge, sa durée doit être incluse dans le calcul de la durée globale de la procédure juridictionnelle ».
Il en déduit que le calcul de la durée globale de la procédure juridictionnelle doit s’apprécier à compter de la date de la demande (en l’espèce, demande de révision de PMI) auprès du Ministère de la Défense.
La position du Conseil d’État ne peut qu’être approuvée de ce chef.
En effet, si le Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) n’est pas encore applicable au contentieux des PMI (mais il le sera d’ici le 1er janvier 2020, voir articles précédents sur la réforme des juridictions des pensions), le justiciable n’est pas recevable à saisir les juridictions des pensions sans faire valoir une décision du Ministère lui faisant grief, que cette décision soit implicite ou explicite.
Avant de saisir le Tribunal des Pensions, il est donc en pratique obligatoire de saisir le service des pensions du Ministère et, la plupart du temps, de subir des années d’attente avant d’être examiné par un expert puis de recevoir une décision rejetant, totalement ou partiellement, la demande de pension ou de révision pour aggravation …
En conséquence, il est primordial, comme l’a retenu le Conseil d’État, que cette phase administrative souvent abusivement longue, soit prise en compte dans la durée du procès.
Troisièmement, si le Conseil d’État ne se prononce pas sur la durée raisonnable d’une procédure en matière de PMI, il juge qu’une durée de jugement de 11 ans et plus de 6 mois est abusive.
En l’espèce, M. B… a saisi l’administration d’une demande de révision de sa pension d’invalidité pour aggravation le 13 décembre 2002. En dépit de plusieurs relances du requérant, la procédure administrative ne s’est achevée que le 18 février 2008 par un arrêté rejetant la demande de révision. M. B… a saisi le Tribunal départemental des Pensions Militaires du Var le 21 mars 2008 ; sa requête a été transférée au Tribunal des Pensions de Marseille, nouvelle juridiction compétente, laquelle a statué par un jugement du 3 juillet 2014.
Le Conseil d’État a retenu qu’à supposer même que la situation médicale de M. B… aurait présenté un caractère complexe, l’affaire ne présentait pas de difficulté spécifique et nécessitait, compte tenu des conséquences de la décision attaquée sur la situation de l’intéressé, une diligence particulière ; qu’enfin, il ne résultait pas de l’instruction que l’intéressé aurait concouru à l’allongement de cette procédure et que, par suite, M. B… était fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement avait été méconnu.
En conséquence, le Conseil d’État a condamné l’État pour faute, à indemniser le requérant à hauteur de 8 000 euros, y compris tous intérêts capitalisés à la date de la décision, outre 3 000 euros au titre de ses frais de Justice.
Cette décision interpelle quant à la durée de la procédure : la phase administrative a duré 5 ans et plus de 2 mois, puis la phase judiciaire s’est éternisée sur 6 ans et plus de 4 mois.
Il est plus qu’anormal qu’un justiciable soit contraint d’attendre plus de 11 ans et demi pour obtenir un simple jugement (aucun appel n’a été interjeté dans ce dossier !). Hélas, cette situation n’est pas isolée.
Cet arrêt devrait encourager les justiciables à faire valoir leur droit au délai raisonnable de jugement, afin que cessent ces lenteurs abusives.
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